Qu’est ce que le socialisme libertaire?

Par Ulli Diemer


Nous nous appelons nous-même des socialistes libertaires. Mais, pourquoi cet adjectif ? Pourquoi socialisme libertaire ? Est-ce que le socialisme libertaire est différent du socialisme comme il est généralement compris?

Le problème, et la raison de cet adjectif, est qu’il existe aucune définition du socialisme qui est « généralement compris ». Le dilemme du socialisme aujourd’hui est tout d’abord le dilemme de la signification du mot socialisme, car le terme a été appliqué à toute une gamme universelle de personnes, partis, philosophie, États et système social, souvent complètement antagonistes les uns des autres, le terme même de socialisme est devenu pratiquement vide de sens.

Il y a actuellement plus de variation du socialisme dans l’existence que de variété de soupe dans les rayons de supermarché, plus de partis socialistes avec la ligne correcte que de sectes religieuses avec le monopôle du salut. La plupart des gens sur terre sont désormais gouvernés par des États qui se disent socialistes, États affichant entre eux les antagonismes familiers habituellement tenus pour être les points de repère de l’impérialisme capitaliste, aussi bien que tout type de système social déjà existant du déclin du tribalisme jusqu’à l’industrialisme avancé. Peut-il valoir la peine de sauver un label qui a été revendiqué par Karl Kautsky et V. I. Lénine, par Mao et Brezhnev, par Gandhi et Hitler, par Ed Broadbent et Karl Marx ? Est-ce que le terme connote quoi que ce soit « juste » ou « bon » pour ses partisans, « bureaucratique » ou « mauvais » pour ses ennemis ?

La tentation est grande d’abandonner le label entièrement, d’adopter quelque nouveaux termes pour indiquer quel type de changement social nous proposons. Mais pour cela, il faudrait tenter d’esquiver un problème qui ne peut pas être évité. La confusion terminologique n’est pas accidentelle. Ce n’est ni « simplement» une affaire de mots. Il est ancré dans le fait que le système dominant social agit toujours en intégrant ce qui ne peut être détruit – mouvements, idées, même les mots – et par conséquent les détruit précisément en les intégrant, en les revendiquant. Il nie la possibilité même d’une alternative à eux-mêmes, et prouve cette impossibilité en absorbant l’alternative et en la vidant de sa signification, en adoptant de nouvelles formes et un nouveau langage qui créent l’illusion du choix et changent tout en perpétuant les mêmes relations essentielles de la domination. Puisque le principal défi pour le capitalisme est toujours venu de ce que lui-même qualifie de socialiste, il n’est guère surprenant que les rapports sociaux capitalistes aient survécu dans la moitié du monde en se disant socialistes. Le socialisme est devenu un autre nom pour le capitalisme, une autre forme de capitalisme : dans la « victoire », le socialisme a été le plus enterré que cela ne pourrait jamais avoir été la cas dans la défaite. Le capitalisme a dissous l’alternative socialiste en esquivant son nom, son langage et ses rêves. Nous devons les reprendre, car sans mot, il ne peut y avoir de concept, et là où il n’y a pas de langage de liberté, il ne peut y avoir de rêve de libération.

Par conséquent, nous ne pouvons simplement abdiquer la terminologie du socialisme et arbitrairement inventer de nouveaux labels. Cela serait futile, à la fois parce que n’importe quels autres termes seraient similairement asséchés s’ils acquéraient une reconnaissance populaire, et parce que le langage de liberté existant se réfère au sens et à l’Histoire seraient récupéré par ceux qui désormais les suppriment en les réclamant à eux. Des mots comme « socialisme », « révolution », « démocratie » et « liberté » contiennent en eux-mêmes une critique de l’ordre existant. Cette critique peut être faite seulement en le reconquérant et lui donnant une nouvelle ville, et non pas en l’abandonnant et en cherchant un autre.

Pour cette raison, nous commençons avec le terme « socialisme » et le précédons avec l’adjectif « libertaire » qui commence à préciser ce terme, et qui simultanément en fait un nouveau terme, en le différenciant de tous les autres « socialismes ». Peut-être que le plus important est que l’adjectif « Libertaire » soulève des questions dans l’esprit de ceux qui le rencontrent, tandis que le terme « socialisme » lui-même a tendance à être pris pour acquis, agir comme un vase inintéressants que chaque personne remplit avec ses idées préconçues.

Et en soulevant des questions, le terme socialisme libertaire initie la première étape dans le processus de critiques qui doit être appliqué équitablement au capitalisme et au « socialisme » comme il est « généralement compris ». Le processus de critique n’a produit aucun résultat qui peut être présenté comme une image compréhensive du socialisme libertaire. En effet, le concept même de critique est en opposition avec l’idée d’avoir des résultats finis. Ce qui est présenté ici sont des débuts, des thèmes pour l’élaboration. La plupart des idées présentées ici ne sont pas nouvelles, ni généralement acceptaient.


Qu’est-ce qui est insinué par le terme « socialisme libertaire » ?

* L’idée que le socialisme est avant tout à propos de liberté et donc sur le dépassement de la domination, de la répression, et de l’aliénation qui bloquent la libre circulation de la créativité humaine, de la pensée et de l’action. Nous n’assimilons pas socialisme avec la planification, le contrôle de l’État, ou la nationalisation des industries, bien que nous comprenions que dans une société socialiste (pas "sous" le socialisme) l’activité économique sera collectivement contrôlée, gérée, planifiée et possédée. De même, nous croyons que le socialisme impliquera l’égalité mais nous ne pensons pas que le socialisme est l’égalité, car il est possible de concevoir une société où chacun est également opprimé. Nous pensons que le socialisme est incompatible avec des États à parti unique, avec les contraintes de liberté de paroles, avec une élite exerçant un pouvoir «au nom du» peuple, avec le culte des leaders, avec l’un des autres dispositifs par lesquels la société mourante cherche à se dépeindre comme la nouvelle société.

* Une approche du socialisme incorpore la révolution culturelle, la libération des femmes et enfants, et la critique et la transformation de la vie de tous les jours, ainsi que les plus traditionnelles inquiétudes des politiques socialistes. Un politique est complètement révolutionnaire car elle cherche à transformer toute la réalité. Nous ne pensons pas que la capture de l’économie et de l’État conduisent automatiquement à la transformation du reste de l’être social, ni nous n’assimilons la libération avec l’évolution de nos modes de vie et de nos têtes. Le capitalisme est un système complet qui envahit tous les domaines de notre vie : le socialisme doit être le dépassement de la réalité capitaliste dans son ensemble ou cela n’est rien.

* La politique libertaire est elle-même concernée par la libération de l’individu parce que c’est collectif et par la libération collective parce que c’est individualiste.

* Être un socialiste n’est pas seulement une chose intellectuelle, une question d’avoir les bonnes idées ou les bonnes approches intellectuelles. C’est aussi une question de comment vous vivez votre vie.

* Une politique est révolutionnaire car, selon les mots de Marx et Engels, « la révolution est nécessaire non seulement car la classe dominante ne peut pas être renversée d’une autre manière, mais aussi parce que la classe renversante peut seulement réussir une révolution qu’en se libérant soi-même des fumiers de tous les temps et devenir adapter pour trouver une société nouvelle. »

* Parce que la révolution est un processus collectif d’auto-libération, parce les gens et la société sont transformés à travers la lutte, non pas par décret, par conséquent « l’émancipation des classes ouvrières peut seulement être réalisé par les classes ouvrières elles-mêmes », non par l’avant-garde Léniniste, un État socialiste, ou tout autre agent agissant pour leur compte.

* Une conception de la gauche non pas comme séparée de la société, mais comme une part de la société. Nous, de la gauche, sommes des gens qui sont sujets à l’oppression sociale comme n’importe qui d’autre, qui luttons pour le socialisme car notre propre libération est possible seulement quand toute la société est libérée. Nous cherchons à apporter les autres à notre projet socialiste non pas pour leur faire une faveur, mais parce que nous avons besoin de leur aide active pour notre propre libération. Le commentaire de Cohn-Bendit est « c’est pour vous-même que vous faites la révolution », ce n’est pas une position individuelle, mais la clé pour une véritable politique collective, est basée sur la joie et la promesse de vie, au lieu d’être basé sur l’auto-sacrifice ce qui est souvent la version radicale du fardeau de l’homme blanc.

* Nous, de la gauche, nous voyons nous-mêmes comme des participants égaux de la lutte, non comme des leaders oints. Nous avançons notre vision socialiste comme une part de notre contribution, mais nous ne pensons pas que nos croyances dans le socialisme signifient que nous avons toutes les réponses. Nous traitons avec des gens honnêtes, d’égal à égal, sans supposer que nous avons le droit de dicter ce qu’ils doivent penser ou faire, ni supposer que nous n’avons rien à apprendre d’eux. Nous avons assez confiance en notre politique pour ne pas chercher à manipuler les gens vers nos conclusions.

* Comme socialistes nous formons des organisations avec d’autres gens qui partagent nos idées. C’est nécessaire et valide, mais cela représente une situation que nous devrions continuellement surpasser, pas une que nous devrions accepter et même institutionnaliser dans un mode léniniste. Le socialisme implique non seulement le dépérissement de l’État, mais aussi le dépérissement de la gauche et de ses organisations comme des entités distinctes. Le pouvoir dans une société socialiste doit être exercé de manière à permettre la participation de chacun, pas seulement ceux appartenant à une organisation donnée. Cela doit être préfiguré dans les formes et mouvements politiques qui émergent avant la révolution. L’ultime but de la gauche et de ses organisations ne doit pas être de diriger la société mais de s’abolir elles-mêmes.

* Le composant le plus important de la conscience socialiste est la pensée critique. Nous devons apprendre à penser à tout de manière critique, pour ne rien prendre pour acquis, rien comme donné. Par conséquent, nous ne voulons pas de gens qui acceptent les idées socialistes de la même manière qu’ils les acceptent maintenant, partiellement ou complètement, des idées bourgeoises. Nous voulons détruire toute critique d’acceptation et de croyance. Nous pensons que l’examen critique de la société conduit aux conclusions socialistes mais ce qui est important est non seulement les conclusions mais également et même plus la méthode pour arriver à elles.

* Nous nous basons sur l’héritage du marxisme. Cela ne signifie pas que nous acceptions toutes les idées de Marx, encore moins ceux qui prétendent être ses adeptes. Le marxisme est un point de départ pour nous, et non pas notre destination pre-déterminée. Nous acceptons le diktat de Marx que notre criticisme ne doit avoir peur de rien, incluant ses propres résultats. Notre dette envers le marxisme ne sera pas moindre, si nous constatons que nous devons aller au-delà.

* Rien ne serait plus étranger pour nous que l’idée « traditionnelle marxiste » selon laquelle on a répondu à toutes les questions importantes. Au contraire, nous n’avons pas encore formulée beaucoup de ces importantes questions.

* Nous devons essayer de maintenir un équilibre entre la théorie et la pratique qui cherche à les intégrer, et qui reconnaît que nous devons nous engager dans les deux en même temps.

* Le centre de gravité de notre politique doit être quand nous ne sommes pas dans l’identification indirecte avec les luttes d’ailleurs. Le travail solidaire est important, mais il ne peut pas être le centre principal du mouvement socialiste.

* Nous ne savons pas si nous allons gagner : l’Histoire est faite d’êtres humains et où l’être humain est concerné rien n’est inévitable. Mais parce que les gens font l’Histoire, nous savons qu’il est possible de construire un nouveau monde, et nous efforçons de réaliser cette possibilité.

* « Il n’y a qu’une raison pour être révolutionnaire – parce que c’est le meilleur moyen de vivre. »



Originellement publié dans le volume 2, Numéro 1 (numéro Été 1977) de la menace rouge [The Red Menace].


Also available in English: What is Libertarian Socialism?.
También disponible en español: ?Que es el Socialismo Libertario?.